Le défi était tout simplement énorme. Beaucoup auraient abandonné. Pas Beethoven. Non, au lieu de cela, il tenait un crayon entre ses dents, calé contre les cordes du piano, pour ressentir les vibrations lorsqu’il pressait une touche. Porté par ses sensations et par ce que seul lui pouvait offrir à son public, Beethoven a persévéré. Sa majestueuse neuvième symphonie atteignait la corde sensible de son auditoire. C’était le sommet de son oeuvre. Durant une période de révolutions et de transformations, sa musique reflétait les bouleversements de son époque. Grâce à sa persévérance, à sa détermination et à sa méthode, Beethoven nous a légué un chef d’œuvre bien après qu’il ait été victime de la surdité.
Ayant travaillé dans l’industrie de la gestion d’actifs internationale depuis 25 ans en tant que membre de Comités Exécutifs, récemment en tant que Responsable Marketing et Développement Produits chez Unigestion et désormais CEO de H-Ideas, je trouve dans l’histoire de Beethoven une image inspirante pour analyser la gestion d’actifs d’aujourd’hui et trouver les pistes du succès.
Beethoven a vécu à une époque de profonds changements géopolitiques dont l’ampleur est comparable aux mutations de notre industrie de l’investissement ces dernières années. Une succession de chocs financiers a engendré des réglementations toujours plus strictes et des exigences en conformité toujours plus élevées. La technologie recompose notre paysage – l’intelligence artificielle, le big data et le machine learning s’immiscent dans les processus d’investissement. Les coûts pour être dans le marché et rester compétitif n’ont jamais été aussi élevés. Le rythme de ces changements va continuer de s’accélérer, et les sociétés qui ne tiendront pas cette cadence échoueront. C’est la loi du plus fort, mais c’est aussi la loi du plus rapide.
Aujourd’hui, en Europe seulement, il y a 4’000 sociétés de gestion d’actifs, opérant dans un environnement culturellement varié et complexe. Ces 4’000 sociétés proposent 54’000 fonds. Les investisseurs ont vraiment le choix ! Comment communiquer avec eux ? Comment se différencier ? Comment se faire entendre au milieu de la cacophonie des concurrents cherchant tous à attirer l’attention ? Comment concevoir nos stratégies, nos plans pour qu’ils concordent avec les besoins et les objectifs de nos clients ?
Lorsqu’on analyse la production marketing de l’industrie de la gestion d’actifs d’aujourd’hui, deux thèmes ressortent : “moi, moi, moi” et “jargon, jargon, jargon”. L’approche « moi, moi, moi » se focalise sur le gérant d’actifs et donne lieu à une prolifération de phrases type « nous » faisons ceci, « nous » faisons cela. Le « jargon, jargon, jargon » est terriblement technique, compliqué, parfois cryptique. Ces deux façons de faire passent à côté de l’ingrédient primordial du marketing : la connexion.
La musique a motivé Beethoven à réussir et à créer une connexion émotionnelle avec son public. De même, les gérants d’actifs qui ont un avenir sont ceux qui sauront créer une connexion avec leurs investisseurs, existants et à venir. La première étape consiste à explorer les pensées de nos investisseurs. Que savons nous sur eux, aujourd’hui ?
- Délégation de responsabilité. Les gouvernements de désengagent progressivement du sujet des retraites, laissant ainsi l’entière responsabilité aux citoyens de gérer eux-mêmes cette période de leur vie.
- Accès à l’information immédiat et simple. Grâce à Internet et aux réseaux sociaux, vos clients peuvent trouver immédiatement une information quasi complète sur vous, vos fonds et vos performances. Mais la plupart d’entre eux n’ont pas une formation académique financière et se sentent submergés par l’afflux d’information.
- Scepticisme. Les crises financières et les scandales ont directement affecté les investisseurs et ont eu raison de leur confiance dans l’industrie des services financiers.
- Submergés. L’industrie ne cesse de pousser une abondance de produits auprès des investisseurs. Comment peuvent-ils prendre une décision ?
Nous devons être des Beethoven du marketing. Approprions-nous les mots du célèbre auteur E.M. Forster dans Howards End « Contentez-vous de connecter la prose et la passion, et les deux seront exaltés. » et connectons-nous avec nos prospects et nos clients. Malheureusement, notre industrie est particulièrement mauvaise pour créer ces connexions. Pourquoi ? Notre succès repose sur des chiffres. Nos instruments de mesure s’appellent performance, statistique et classement. Ainsi, il est assez compréhensible que notre marketing reflète notre obsession interne des chiffres.
Nous devons faire abstraction de cette obsession et nous mettre dans la peau de nos clients. Nous devons réfléchir de la façon dont nos prospects réfléchissent. Nous devons comprendre leurs attentes et leur prouver que nous pouvons y répondre. De même, nous devons comprendre leurs craintes et leur montrer que nous sommes dignes de confiance.
Nous devons nous plonger dans la psychologie d’achat et nous comprendrons alors qu’une décision d’achat est toujours déclenchée par des émotions. Tout l’art consiste à parler à vos investisseurs, pas à parler de vous. Tout l’art est de dialoguer avec vos investisseurs, pas de les aveugler avec du jargon technique. Tout l’art est de montrer que vous prenez soin de leurs actifs et que vous êtes là pour les protéger et les faire prospérer. Que dans un monde complexe et changeant, eux et leurs actifs sont au cœur de vos préoccupations. Grâce à cette attention que vous leur portez, vous construisez les fondations de la connexion, de la confiance et de la loyauté. Ce sont les trois piliers d’un succès pérenne et de la fidélité de vos investisseurs. C’est un angle différent du modèle traditionnel basé sur les coûts, les commissions et les performances. Mais tout autant, si ce n’est plus, important.